dimanche 13 mai 2007

45, rue Polivot

Je lisais la semaine dernière une chronique dans Le Monde 2 sur Lucien Rebatet, l'écrivain antisémite aux idées nauséabondes, au sujet de la réédition de ce qui est unanimement reconnu comme un chef d'oeuvre d'humanité : Les Deux étendards. Comme Céline, il charrie derrière lui cette double question : faut-il saluer son génie littéraire ou dénoncer ses prises de position odieuses ? Bien sûr, la dénonciation doit être sans réserve et l'apologie de sa pensée doit être proscrite. Mais doit-on passer à côté d'une oeuvre aussi puissante que Voyage au bout de la nuit ?

C'est bizarre que ces questions me viennent à l'esprit après la victoire d'un candidat que je ne nommerai pas aux élections présidentielles françaises ? Il n'y a pas de hasard si je fais une cure de cinéma classique de qualité à la française sur lequel les Jeunes Turcs de la Nouvelle Vague ont tiré à boulets rouges. Récemment, j'ai vu L'Auberge rouge de Claude Autant-Lara (1951), une comédie noire jubilatoire et anticléricale avec Fernandel. L'aubergiste interprété par Carette tue les voyageurs de passage pour les délester de leur fortune, aidé par sa femme, sa fille et son esclave noir. Le dernier personnage se fait d'ailleurs allègrement traiter de "moricaud" ou de "nègre".


La Traversée de Paris (1956) est également un chef d'oeuvre. La scène dans laquelle Jean Gabin, accompagné de Bourvil, vient récupérer chez l'épicier (Louis de Funès) le cochon découpé en pièces destiné à être livré de l'autre côté de Paris en pleine période d'Occupation pour être vendu au marché noir, fait partie du Panthéon du cinéma français. Il résonne encore dans les oreilles de nombreux spectateurs le timbre de Jean Gabin tonnant de sa voix de stentor en hurmlant à tue-tête le patronyme et l'adresse de l'épicier Jambier, 45 rue Polivot... Jambier JAMBIER...JAMBIER...
Claude Autant-Lara se distingue par une cruauté dans les relations humaines et dépeint souvent la faiblesse humaine dans ce qu'elle a de plus abjecte. Les tableaux qu'il dresse sont donc d'autant plus corrosifs et justes. Dans le registre de la noirceur, Clouzot, Duvivier et même Renoir excellait. Mais Autant-Lara semblait avoir ce venin inscrit dans les gènes, comme dirait le tout nouveau Président de la République française. Son engagement politique de la fin de sa vie remet en perspective son oeuvre. Il a été élu député européen sur la liste du Front National en 1989 (il avait alors 88 ans) et a tenu des propos antisémites incitant à la haine raciale qui lui a valu d'être poursuivi par le garde des Sceaux de l'époque. A partir du moment où le film est sorti, l'oeuvre n'appartient plus au réalisateur et il serait injuste de juger ses films à l'aune de ses déclarations séniles. Il n'empêche que la diatribe de Jean Gabin contre les pauvres (Il lâche un "Salauds de pauvres" dans La Traversée de Paris) et le traitement du Noir dans L'Auberge rouge prennent une résonance particulière...

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