jeudi 6 décembre 2007

Bazar de l'Hotel de Ville




Ma défaite "printanière" a blessé mon orgueil. Petit historique des faits. Il y a deux mois, je devais remplir une mission en tant que vendeur au rayon confection féminine du Printemps pendant trois jours. Au bout d'une journée, je me suis fait virer comme un malpropre au prétexte que j'étais un descendant d'Adam alors qu'ils attendaient une fille d'Eve (traduction : la boîte d'intérim a envoyé un mec alors qu'ils avaient demandé une nana). Je me suis fait le serment de me venger et je ruminais ma revanche dans mon coin. Ma pénitence arrive enfin à son terme. J'ai décroché un contrat d'hôte de caisse (c'est-à-dire de caissier) dans un autre haut lieu de la consommation, le BHV, qui plus est au navire amiral de la rue de Rivoli. Cette fois, ma mission court sur tout le mois de décembre.
Fort de ma déconvenue initiale, j'aborde cette nouvelle expérience en toute humilité. Je passe donc par la case formation pendant deux jours. La démonstratrice est chargée de former l'élite des caissiers, les top gun du rendu de monnaie, qui vont officier pendant la période hautement stratégique des fêtes de fin d'année. Avant de nous enseigner les dix commandements de l'encaissement et nous instruire des subtilités de cette machine infernale, elle nous dresse un topo du magasin et de l'organigramme. Elle parle des mesures de protection en vigueur contre le vol. Soudain, une musique se met à s'insinuer sournoisement dans mon esprit, La Passion selon saint-Matthieu, de Jean Sébastien Bach (Johan Sebastian Bach pour les germanistes dont je ne fais pas partie). Sa description des moyens de surveillance est un calque presque parfait de celle utilisée par Ace Rothstein (aka Bobby de Niro) dans Casino de Martin Scorsese. Les vigiles surveillent les clients. Les caissiers surveillent les vigiles. Les responsables de caisses surveillent les caissiers. Les animateurs surveillent les responsables de caisses. Les chefs de rayon surveillent les animateurs. Les encadrants surveillent les chefs de rayon. Le chef de service surveillent les encadrants. Et le grand oeil dans le ciel (les caméras) surveillent tout le monde. Le contrevenant ne s'expose certes pas à se faire dégommer la main à coups de marteau, mais risque quand même de passer un sale quart d'heure. Cette séquence devrait être projetée dans tous les symposiums de gestion du personnel.
Le mimétisme avec le Tangiers est d'autant plus frappant que les mouvement de fonds à l'intérieur du magasin sont eux aussi sécurisés. Je me suis vraiment cru télétransporté au beau milieu du désert à Las vegas. Nous, les caissiers sommes là pour faire dépenser VOTRE argent. Et tous les coups sont permis. L'arsenal est illimité : du sourire Ultra Brite avec la rose entre les dents aux diverses formules de politesse, de la tenue vestimentaire à la coupe de cheveux, etcetera etcetera...
Finalement, on n'est pas si loin de ce chef d'oeuvre absolu qu'est Casino, hors les trous dans le désert et le démoniaque Joe Pesci. Dans ce film, Martin Scorsese atteint une forme de maturité et de génie jamais égalée par la suite (bien que ses longs métrages suivants restent d'un niveau extrêmement élevée). La fluidité de la mise en scène, les extraordinaires plans séquences du débuts, les ralentis, le montage dynamique, le choix des musiques, l'interprétation des comédiens, les costumes, les décors sont absoluments fabuleux du début jusqu'à la dernière seconde. En regardant le film sans le son, on se surprend à le comprendre. Idem en écoutant les dialogues sans l'image. De la cinématographie à l'état pur porté à son plus haut degré d'expression. Scorsese avait pourtant placé la barre très haut avec Les Affranchis en 1990, toujours avec le trio Robert De Niro-Joe Pesci-Frank Vincent (qu'on a tendance à oublier alors qu'il était déjà présent dans Raging Bull) En outre apparaît en filigrane un amer constat de la situation du cinéma dans les années 70. Le personnage de Joe Pesci dit à un moment : "Plus jamais on a confié par la suite à des petites frappes comme nous une affaire aussi juteuse." Il dit également à la fin "on avait tout entre les mains et on a merdé (We all fucked up)" Au cours des seventies, le pouvoir était en effet aux mains des réalisateurs du Nouvel Hollywood au détriment de l'ancien système des studios qui faisait la part belle aux producteurs. Une série de chefs d'oeuvres allait surgir sur les écrans sous l'impulsion des Coppola, Scorsese, Spielberg, De Palma, Friedkin, Cimino et autres Lucas. Mais sexe, drogue et femmes auront raison de leurs résolutions. La folie des grandeurs s'est emparé de Coppola et de Cimino qui ont monté des projets pharaoniques comme Apocalypse now ou La Porte du Paradis qui a coulé le studio United Artists. les multinationales de la communication ont donc racheté les studios pour reprendre le système de production des films en main et noyer les salles de cinémas de films à grand public consensuel à gros budget ou de blockbusters débiles générateurs de rentrées de billets verts.
We all fucked up ! Casino décrit parfaitement cett mécanique.



Dernière parenthèse : la scène de la dispute dans le désert entre les deux amis d'enfance, Ace Rothstein et Nicky Santoro, alias Robert De Niro et Joe Pesci, est à la fois prodigieuse et poignante. Un vrai miracle ! Une des meilleures séquences de l'histoire du cinéma... Les comédiens arrivent à un summum de maîtrise de leur personnage. Le film bascule à ce moment et le thème de Camille par Georges Delerue, issue du Mépris de Jean-Luc Godard est parfaitement adaptée. Incompréhension de deux amis dont les intérêts divergents transforment en ennemis... Magistral ! Allez, on se la passe pour le plaisir et l'émotion...



Encore une fois, je fais des digressions... J'étais parti pour parler de mon premier jour de caissier au BHV, et je fais des tartines sur Casino, en passant du coq à l'âne en passant pour toute la basse-cour. Dès que je me mets à parler de Scorsese, je suis aussi intarissable qu'une source intarissable. D'abord, je n'ai pas à me justifier après tout. C'est mon blog et je fais ce que je veux (avec mes cheveux), n'en déplaise aux pisse-froid de toutes sortes...
Non mais !

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