La Nuit nous appartient
Attention, chef d'oeuvre absolu ! Un des films les plus impressionnants de l'année ! James Gray ne réalise que son troisième film en 13 ans, mais ça vaut le coup d'attendre. Un excellent film vaut toujours mieux que trois films moyens... Mais James Gray s'est surpassé ce coup-ci avec cette tragédie shakespearo-dostoïevskienne sur fond de guerre entre la police et la mafia russe. Au beau milieu de tout ça, Joaquin Phoenix, mélange de subtilité et de force (intérieure et brute), est tiraillé entre son job de patron d'un night club lié aux activités mafieuses et sa famille composée d'un père et d'un frère policiers. We own the night (que je traduirais personnellement par "nous possédons la nuit") est la devise de la police new yorkaise. Avant le ménage effectué par Rudy Giuliani, l'ancien maire Big Apple dans le courant des années 90, la nuit appartenait plutôt aux trafiquants de drogue qui jouaient au ball-trap avec les flics.
James Gray fait preuve d'un sens aigu de la mise en scène et de la direction d'acteurs. La scène de poursuite en voiture sous la pluie est magistrale. Seul le son du pare-brise ponctue cette séquence, la rendant tendue comme l'arc d'Ulysse. Les histoires de famile contribuent à amener ce film noir vers le registre de la tragédie. Côté interprétation, on flirte avec le top. Joaquin Phoenix et Mark Wahlberg sont extraordinaires dans le rôle des deux frères ennemis (Abel et Caïn, Romulus et Remus ?). Ils étaient déjà de la partie de The Yards du même James Gray. Quant à l'immense Robert Duvall, les superlatifs manquent pour qualifier à la fois sa prestation en patriarche et sa fabuleuse carrière. Pendant longtemps, je sévissais dans les salles de billards et de scrabble de yahoo games sous le pseudonyme de Colonel Kilgore en hommage au personnage qu'il interprétait dans Apocalypse now ("J'aime l'odeur du napalm au petit matin"). Allez, on va mettre La Chevauchée des walkyries pour saluer le grand Bob...
Je suis sorti complètement bouleversé de ce film. Comment voulez-vous vous mettre à scanner des boulons et des pommes de douches au rayon quincaillerie du BHV après avoir été submergée par un océan d'émotions ? Je me suis trouvé en plein décalage. Je prends mon job saisonnier de caissier avec beaucoup de philosophie. Je m'amuse énormément tout en faisant mon boulot le plus sérieusement possible. Ma caisse est la vigie depuis laquelle je scrute les habitudes de consommation de mes contemporains. Mais le film de James Gray m'a rappelé pourquoi je me bats pour travailler dans le cinéma. Je ne connais pas d'émotion plus forte que la sensation qu'un film (ou toute autre oeuvre d'art) vous prenne par les tripes pour ne plus vous lâcher en vous faisant passer par toute la gamme des sentiments pendant 90 minutes. En sortant de cette séance matinale, je me suis dit que les sacrifices valaient le coup et que je devais m'accrocher pour faire mon trou dans le cinoche...
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