mardi 17 juillet 2007

Italianamerican

Martin Scorsese est le plus grand cinéaste américain contemporain. Que Clint Eastwood, David Lynch ou Steven Spielberg me pardonnent cette phrase péremptoire ! Mais depuis Mean streets en 1973, il aligné les films les plus importants tels que Taxi driver, Raging bull, La Dernière tentation du Christ, Les Affranchis, Casino, Gangs of New York (je suis sûr que ce dernier va dépasser avec le temps son statut de film maudit pour être reconnu à sa juste valeur, car je me sens un peu seul à le défendre bec et ongles contre ses nombreux détracteurs). Même ses films secondaires sont jubilatoires et intéressants : qui n'a pas éprouvé un plaisir intense en regardant Alice n'est plus ici, New York, New York, King of comedy (désolé, je n'arrive pas à me faire au titre français La Valse des pantins...), After hours (un bijou), Age of innocence, Cape fear ou The Aviator... Marty a enfin vu matérialiser son unique talent et sa profonde passion du cinéma par un Oscar pour The Departed cette année, l'Académie réparant une anomalie flagrante de son palmarès. Bien sûr, il était loin d'en faire une maladie (après tout, la compagnie d'Orson Welles, Alfred Hitchcock ou Stanley Kubrick - autres grands cinéastes oubliés des Oscars - n'est pas si désagréable), mais l'academy award lui permet d'acquérir un accès considérable auprès du grand public pour son combat inlassable et sacerdotal (il ne faut pas oublier qu'il désirait être prêtre dans sa prime enfance) pour la conservation des films et la transmission de l'Histoire du cinéma aux générations futures.
Mais les grandes oeuvres qui peuplent sa filmographie ne doivent pas faire oublier son activité de documentariste qui est intimement liée à son travail de filmmaker, ni ses premiers courts. Le DVD que Wild Side consacre à ses courts métrages et documentaires offre opportunément un éclairage sur cette partie méconnue de son oeuvre, d'autant plus que son collaborateur Michael Henry Wilson introduit avec beaucoup de pertinence les films présentés.
What a beautiful girl like you doing in a place like this (1963) est le premier court de Marty qui l'a réalisé lorsqu'il fréquentait encore les bancs de l'Université de New York. L'influence du cinéma indépendant américain et de la Nouvelle Vague se fait sentir. It's not just you Murray (1964) contient déjà les germes de certains thèmes qui apparaitront dans ses films. Cet individu irresponsable préfigure le Johnny Boy de Mean streets. Mais le morceau de choix des courts métrages est constitué par The big shave (1967). Un homme devant le miroir de sa salle de bain immaculée se rase jusqu'à ce que son visage se couvre de sang sous l'effet de la lame. Ce film effrayant est une parabole de la guerre du Viet Nam dans laquelle
l'Amérique s'apprête à s'enfoncer inexorablement .
Martin Scorsese a souvent réalisé un documentaire entre deux films. Parfois il en réalisait même un pendant le montage d'une fiction, un genre venant nourrir l'autre. Il a commencé par participer au montage de Woodstock de Michael Wadleigh en 1969. Il a depuis signé de nombreux documentaires sur la musique comme The Last waltz (1974) ou No direction home, un portrait exceptionnel de Bob Dylan (2005), et produit la série Martin Scorsese présente le blues... L'utilisation de la musique dans ses longs métrages est par aillerus révélatrice, dans la mesure où ils peuvent être interprétés comme un instantané de la musique de l'époque de l'histoire des films. Son prochain documentaire musical est un concert filmé à plusieurs centaines de milliers de caméras des Rolling Stones (dont Martin Scorsese utilise régulièrement des titres comme Gimme shelter, Jumpin'jack flash, Heart of stone, Monkey ou Let it loose). On peut se prendre à rêver d'un Mick Jagger évoluant dans une scène comme une sorte de Jake La Motta dans un ring.
Autre série de documentaires : ceux consacrés aux cinéma.
Personal journey with Martin Scorsese through american cinema, coréalisé en 1995 avec Michael Henry Wilson, apparaît comme un pendant de Casino, qui est selon moi un film sur le cinéma et une parabole sur la manière dont les réalisateurs du Nouvel Hollywood ont contribué à secouer l'establishment avant un retour de manivelle symbolisé par la mainmise retrouvée des Majors et l'avènement du système commercial tel que nous le connaissons actuellement. Scorsese se montre intarissable sur les grands réalisateurs de Hollywood qu'il classe parmi trois catégories : les iconoclastes (the director as an icococlast), les contrebandiers (the director as a smuggler) et les mavericks (the director as a maverick). J'ai ainsi pu mesurer l'importance de cinéastes tels que Allan Dwan, Douglas Sirk, Vincente Minnelli, Fritz Lang, Jacques Tourneur ou King Vidor. Il est à noter que Scorsese, pas seulement par corporatisme, érige le réalisateur en tant qu'auteur du film au détriment du producteur, comme c'était le cas dans le Hollywood de studios. La capacité du réalisateur à se servir des films de studios pour faire passer des thèmes personnels ou d'évoluer à leur marge pour constituer une oeuvre subversive lui confère sa qualité d'auteur au sens " nouvelle-vaguien" du terme.
J'ai ensuite eu la chance d'assister six ans plus tard à Cannes à la projection d'Il mio viaggio in Italia, le documentaire consacré au cinéma italien. Le film est très didactique avec de longues analyses d'oeuvres de Vittorio De Sica, de Roberto Rossellini ou de Michelangelo Antonioni. Mais la première demi-heure est émouvante, lorsqu'il évoque le contexte dans lequel il a découvert ces films. Scorsese dresse quasiment l'arbre généalogique de sa famille en Sicile et montre le vieux téléviseur dans lequel il a vu pour la première fois Paisà de Rossellini. Marty montre à quel point son existence et ses racines sont intimement et viscéralement
liées au cinéma.
Le transition est toute trouvée avec ses deux meilleurs documentaires qu'il a réalisé dans les années 70. Italianamerican a été produit dans le cadre d'une série documentaires sur les communautés à l'occasion du bicentenaire de la Déclaration d'Indépendance en 1976. Scorsese invite ses parents à évoquer leur installation à New York. Chaleur humaine et oralité sont au programme de ce documentaire. Ma vraie découverte est American boy : a profile of Steven Prince que Marty réalise en 1978 alors qu'il traverse une période difficile. Steven Prince, un de ses amis, a joué le rôle du marchand d'armes dans Taxi driver, film dont ce documentaire fait immanquablement penser par cette frontière poreuse entre inquiétude et humour. Lorsque Steven Prince raconte l'anecdote de la jeune femme victime d'une overdose d'héroïne à qui l'on doit injecter une piqûre d'adrénaline dans la poitrine, la scène de la réanimation de Mia Wallace, alias Uma Thurman, dans Pulp fiction, se déroule sous nos yeux quasiment plan par plan. George Memmoli, qui a joué dans Mean streets (mon royaume pour la scène de la bagarre dans le billard !) et dans Phantom of the Paradise est invité dans la maison de Scorsese à Los Angeles où ce documentaire a été tourné.
Ces deux documentaires montrent le souci du conteur et un goût pour l'oralité en vigueur dans les films de Martin, notamment Goodfellas. Je pense en particulier aux anecdotes de Joe Pesci au Copacabana qui sont à la fois hilarantes et inquiétantes.

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