Cahiers du cinéma
La vénérable revue Les Cahiers du cinéma qui fait autorité dans le milieu a consacré dans son numéro d'avril un dossier dédié aux élections présidentielles qui ont lieu en France, ce pays où Les Cahiers du cinéma était un magazine de cinéma et non une institution de référence. Lorsque je tiens un numéro entre les mains (quand il ne me tombe pas des bras), j'ai à la fois l'impression de lire l'organe officiel du CNC et une revue élitiste.
Cela dit, l'idée de proposer des solutions pour sortir le cinéma de l'ornière est excellente. En résumé, les douze propositions de la rédaction :
1 - Revaloriser le sélectif au détriment de l’automatique.
Ce sont toujours les mêmes qui ont les subventions grâce à la prime au sortant. On ne prête qu'aux riches, selon un adage populaire. Les scénarios doivent être jugés pour leur qualité artistique, et non sur une quelconque faisabilité (quel mot horrible !), afin de ne pas brider l'imaginaire des auteurs. Pourquoi faire des efforts lorsqu'on est sûrs d'avoir une aide ?
2 - Combattre le formatage des projets par les procédures de soutien.
Enfin, une grande revue de cinéma (?) parle de formatage de la production française. J'emploierai un terme proche : conformisme. On voit la même chose sur les écrans à quelques nuances près. La standardisation des films apparenterait le cinéma à un produit de consommation courante.
J'aime beaucoup cette expression de Pasolini qui qualifiait les personnes médiocres qui se contentaient de peu et aliénés par une société de consommation naissante et opressante dans une Italie revitalisée par les effets du plan Marshall, les qualunquisti (quelconques). Il faut donc combattre le qualunquisme du cinéma français.
3 - Redéfinir l’articulation entre l’action du CNC et celle des Régions.
Les Régions (du moins certaines d'entre elles) sont devenues une source de financement appréciable et incontournable. Leur sélection n'est pas encore standardisée, car il y a moins de juges et parties parmi le jury qu'au CNC. Les Cahiers prônent la définition de contrats d'objectifs qui ne soient pas une substitution de ceux du CNC. L'intérêt des Régions est d'attirer les tournages afin de favoriser le tissu économique local et que les retombées en termes d'image soient forts. Pour atteindre ces objectifs, la qualité doit être mise en valeur au détriment du conformisme ambiant.
Autre chose : il faut que la Région Ile de France file plus de blé pour les courts métrages. Je prêche un peu pour ma paroisse, mais l'économie est trop précaire pour des retombées en termes d'image qui sont pourtant nombreuses (festivals, notoriété, détection des jeunes talents, soutiens à des projets novateurs, j'en passe et des meilleurs...)
4 - Projection numérique : appliquer les propositions du rapport Goudineau.
Pas de commentaire là-dessus. Je n'ai pas lu le rapport Goudineau (c'est qui au fait ce mec ?)
J'espère juste que ça va pas donner lieu à la création de nouvelles institutions, de groupes de travail, de task force, de think tank et de commissions stériles destinées à noyer le poisson. De l'action, que diantre !!!
5 - Limiter le nombre de copies par film.
C'est une bonne idée. Le blitz de certains films commerciaux sur un milliard de salles donne l'impression au spectateur que le film est bon car il sort en masse. En plus, tout le monde en parle tout le temps dans tous les médias. Les films moins faciles d'accès sont réduits aux miettes.
6 - Réformer la définition de l’Art et essai.
Label galvaudé comme celui de "film d'auteur" à force d'être accordé à tort et à travers. Conséquence : les vrais films Art essai en pâtissent. Autre crainte : la ghettoïsation des films dits d'auteurs. Un effort doit donc être fait pour améliorer les conditions de projection des films dans les salles indépendantes afin que le public puisse l'apprécier à sa juste valeur, le tout sans les transformer en succursales de la confiserie du coin.
7 - Donner toute sa place au rôle du cinéma dans l’aménagement du territoire.
Cette proposition sonne vraiment politique politicienne... Mais il est vrai que tout le monde doit avoir accès aux salles de cinéma, lieu de mixité sociale par excellence. Construire des salles hors des centres commerciaux peut également être une idée intéressante. Le film est un produit en soi (qu'est-ce que je déteste parler comme ça !!!), et non un produit d'appel pour d'autres produits, comme de la bouffe, des fringues ou des appareils électroménagers.
8 - Dynamiser la politique patrimoniale.
Qu'est-ce que c'est bien dit... Franchement, je n'aurais pas trouvé mieux. "Dy-na-mi-ser la po-li-tique pa-tri-mo-niale..." C'est ronflant, mais c'est essentiel. Tout comme il est important de connaître ses racines pour se forger une identité propre, il est primordial de transmettre l'histoire du cinéma. Il faut retirer des étagères poussiéreuses les films anciens et les proposer aux nouvelles générations. On peut jouer à la Playstation 3 (ou à la Wii) et aimer Lubitsch. Le travail de la Cinémathèque de Toutankhamon est remarquable, mais tous les supports diffusions doivent être privilégiés pour assurer une bonne exposition au cinéma. Et surtout les films classiques sont meilleurs lorsqu'ils sont vus dans le lieu pour lequel ils ont été conçus : les salles de cinéma.
9 - Développer les formes de présence du cinéma à l’école.
Je vais citer l'intégralité du commentaire du mec des Cahiers, car c'est grandiose. Moi, si on m'avait parlé de cinoche comme ça à 12 ans, je me serais barré en courant.
Cela dit, il faut certes développer la sensibilité des écoliers au cinéma, mais sans leur faire trop tôt des cours d'études de textes théoriques. Le cinéma est un outil incomparable de compréhension de ses émotions et de son rapport au monde. En outre, cette élévation culturelle tirerait vers le haut de façon ludique les jeunes tout en leur faisant prendre conscience de la diversité des modes d'expression cinématographiques (putain, c'est contagieux Les Cahiers... Je me mets à m'exprimer comme un premier de la classe.) Le cinéma, ce n'est pas seulement Bruce Willis et Jennifer Lopez, c'est aussi Ava Gardner et Massimo Girotti, Le Trésor de la sierra madre et Le Septième sceau.
10 - Valoriser les pratiques amateur.
Un bémol : ceux qui font du cinéma amateur via leur téléphone portable ou leur camescopes ne seront jamais des cinéastes. Certes, ils peuvent construire une relation intime avec le cinéma, mais ne peuvent se substituer à des réalisateurs qui s'inscrivent dans une démarche artistique et professionnelle au long cours. En outre, les amateurs, aussi louables sont leurs intentions, viennent inonder un marché saturé, dans lequel les professionnels ont déjà énormément de mal à travailler. Ce n'est pas leur rendre service que de leur faire miroiter des talents de cinéastes ou de techniciens, comme le font certains centres de formation diplômants qui pullulent depuis quelques temps en surfant sur cette vague de la démocratisation des moyens de fabrication des films. Je peux aprendre par coeur le manuel de Final cut pro et le réciter comme une fable de La Fontaine, ça ne fera pas de moi un monteur professionnel si je ne maîtrise pas les notions de rythme, d'agencement entre les plans, de narration... surtout si je n'ai pas étudié les films des vieux maîtres.
Il faut donc valoriser les pratiques professionnelles au même titre pour ne pas qu'il y ait de confusion des genres. De même, il est nécessaire de canaliser les nouveaux entrants sur le maché afin que les dérives constatées au niveau des stages conventionnés qui prennent la place de véritables emplois soient contenues. Un employeur peut toujours dire que si quelqu'un refuse de travailler à moindre tarif, la queue des candidats à la gloire est longue.
11 - Renforcer toutes les formes d’accompagnement du cinéma.
La télévision de service public a un rôle décisif à jouer, et qu’elle ne joue plus, ni par sa programmation de films, ni par la production d’émissions de cinéma dignes de ce nom.
Cette analyse est très juste. Je discutais récemment avec Jean-Marie Rodon (que je salue pour son amour inconditionnel du cinéma) des cinémas Action qui me disait qu'il y avait plus de spectateurs dans ses salles à l'époque de La dernière séance. Loin de concurrencer les films anciens, la télévision leur permettait d'avoir une exposition qui donnait envie de prolonger ce plaisir vers les salles. D'autre part, les émissions sur le cinéma donnent l'impression qu'elles répondent plus à des impératifs de cahier des charges à remplir que d'une réelle volonté de promouvoir le cinéma dans sa diversité. Quant au DVD, il s'agit avant tout d'un produit de consommation : le packaging est privilégié, les éditions collector servent avant tout à créer un événement plutôt que de sensibiliser à des questions relatives aux films. Saluons plutôt le boulot éditorial de Wild side ou Carlotta qui remettent en perspective les oeuvres par rapport à leur contexte artistique, critique et socio-politique.
12 - Penser une politique de dialogue entre le cinéma et les autres arts.
Ah bon, le cinéma, c'est un art ! Je suis mauvaise langue... Si synergie il y a, elle profitera à tous, à partir du moment où il n'y a pas de marginalisation. Des expos croisés sur le cinéma oui, mais les films anciens doivent aussi sortir des musées pour entre dans les salles. Le risque que deux sortes de films existent - ceux pour les salles et ceux pour les musées - se concrétisent de plus en plus.
Cela dit, l'idée de proposer des solutions pour sortir le cinéma de l'ornière est excellente. En résumé, les douze propositions de la rédaction :
1 - Revaloriser le sélectif au détriment de l’automatique.
Ce sont toujours les mêmes qui ont les subventions grâce à la prime au sortant. On ne prête qu'aux riches, selon un adage populaire. Les scénarios doivent être jugés pour leur qualité artistique, et non sur une quelconque faisabilité (quel mot horrible !), afin de ne pas brider l'imaginaire des auteurs. Pourquoi faire des efforts lorsqu'on est sûrs d'avoir une aide ?
2 - Combattre le formatage des projets par les procédures de soutien.
Enfin, une grande revue de cinéma (?) parle de formatage de la production française. J'emploierai un terme proche : conformisme. On voit la même chose sur les écrans à quelques nuances près. La standardisation des films apparenterait le cinéma à un produit de consommation courante.
J'aime beaucoup cette expression de Pasolini qui qualifiait les personnes médiocres qui se contentaient de peu et aliénés par une société de consommation naissante et opressante dans une Italie revitalisée par les effets du plan Marshall, les qualunquisti (quelconques). Il faut donc combattre le qualunquisme du cinéma français.
3 - Redéfinir l’articulation entre l’action du CNC et celle des Régions.
Les Régions (du moins certaines d'entre elles) sont devenues une source de financement appréciable et incontournable. Leur sélection n'est pas encore standardisée, car il y a moins de juges et parties parmi le jury qu'au CNC. Les Cahiers prônent la définition de contrats d'objectifs qui ne soient pas une substitution de ceux du CNC. L'intérêt des Régions est d'attirer les tournages afin de favoriser le tissu économique local et que les retombées en termes d'image soient forts. Pour atteindre ces objectifs, la qualité doit être mise en valeur au détriment du conformisme ambiant.
Autre chose : il faut que la Région Ile de France file plus de blé pour les courts métrages. Je prêche un peu pour ma paroisse, mais l'économie est trop précaire pour des retombées en termes d'image qui sont pourtant nombreuses (festivals, notoriété, détection des jeunes talents, soutiens à des projets novateurs, j'en passe et des meilleurs...)
4 - Projection numérique : appliquer les propositions du rapport Goudineau.
Pas de commentaire là-dessus. Je n'ai pas lu le rapport Goudineau (c'est qui au fait ce mec ?)
J'espère juste que ça va pas donner lieu à la création de nouvelles institutions, de groupes de travail, de task force, de think tank et de commissions stériles destinées à noyer le poisson. De l'action, que diantre !!!
5 - Limiter le nombre de copies par film.
C'est une bonne idée. Le blitz de certains films commerciaux sur un milliard de salles donne l'impression au spectateur que le film est bon car il sort en masse. En plus, tout le monde en parle tout le temps dans tous les médias. Les films moins faciles d'accès sont réduits aux miettes.
6 - Réformer la définition de l’Art et essai.
Label galvaudé comme celui de "film d'auteur" à force d'être accordé à tort et à travers. Conséquence : les vrais films Art essai en pâtissent. Autre crainte : la ghettoïsation des films dits d'auteurs. Un effort doit donc être fait pour améliorer les conditions de projection des films dans les salles indépendantes afin que le public puisse l'apprécier à sa juste valeur, le tout sans les transformer en succursales de la confiserie du coin.
7 - Donner toute sa place au rôle du cinéma dans l’aménagement du territoire.
Cette proposition sonne vraiment politique politicienne... Mais il est vrai que tout le monde doit avoir accès aux salles de cinéma, lieu de mixité sociale par excellence. Construire des salles hors des centres commerciaux peut également être une idée intéressante. Le film est un produit en soi (qu'est-ce que je déteste parler comme ça !!!), et non un produit d'appel pour d'autres produits, comme de la bouffe, des fringues ou des appareils électroménagers.
8 - Dynamiser la politique patrimoniale.
Qu'est-ce que c'est bien dit... Franchement, je n'aurais pas trouvé mieux. "Dy-na-mi-ser la po-li-tique pa-tri-mo-niale..." C'est ronflant, mais c'est essentiel. Tout comme il est important de connaître ses racines pour se forger une identité propre, il est primordial de transmettre l'histoire du cinéma. Il faut retirer des étagères poussiéreuses les films anciens et les proposer aux nouvelles générations. On peut jouer à la Playstation 3 (ou à la Wii) et aimer Lubitsch. Le travail de la Cinémathèque de Toutankhamon est remarquable, mais tous les supports diffusions doivent être privilégiés pour assurer une bonne exposition au cinéma. Et surtout les films classiques sont meilleurs lorsqu'ils sont vus dans le lieu pour lequel ils ont été conçus : les salles de cinéma.
9 - Développer les formes de présence du cinéma à l’école.
Je vais citer l'intégralité du commentaire du mec des Cahiers, car c'est grandiose. Moi, si on m'avait parlé de cinoche comme ça à 12 ans, je me serais barré en courant.
La rencontre avec les grands films comme partie prenante d’une culture, la compréhension théorique et pratique des processus de mise en scène comme formation de l’esprit critique, la découverte de l’expérience de la salle comme rapport aux oeuvres et au collectif doivent, bien davantage qu’ils ne le sont aujourd’hui, faire partie de l’enseignement primaire et secondaire.
Cela exige des formateurs spécialisés, et reconnus comme tels, pour les enseignants, et un grand nombre d’améliorations des dispositifs existants. Si l’action du CNC et celle du ministère de l’Éducation nationale sont indispensables, il faut, pour l’enseignement artistique à l’école dont fait partie le cinéma, une exigence et un soutien politique relayés au plus haut niveau - premier ministre ou président de la République.Cela dit, il faut certes développer la sensibilité des écoliers au cinéma, mais sans leur faire trop tôt des cours d'études de textes théoriques. Le cinéma est un outil incomparable de compréhension de ses émotions et de son rapport au monde. En outre, cette élévation culturelle tirerait vers le haut de façon ludique les jeunes tout en leur faisant prendre conscience de la diversité des modes d'expression cinématographiques (putain, c'est contagieux Les Cahiers... Je me mets à m'exprimer comme un premier de la classe.) Le cinéma, ce n'est pas seulement Bruce Willis et Jennifer Lopez, c'est aussi Ava Gardner et Massimo Girotti, Le Trésor de la sierra madre et Le Septième sceau.
10 - Valoriser les pratiques amateur.
Un bémol : ceux qui font du cinéma amateur via leur téléphone portable ou leur camescopes ne seront jamais des cinéastes. Certes, ils peuvent construire une relation intime avec le cinéma, mais ne peuvent se substituer à des réalisateurs qui s'inscrivent dans une démarche artistique et professionnelle au long cours. En outre, les amateurs, aussi louables sont leurs intentions, viennent inonder un marché saturé, dans lequel les professionnels ont déjà énormément de mal à travailler. Ce n'est pas leur rendre service que de leur faire miroiter des talents de cinéastes ou de techniciens, comme le font certains centres de formation diplômants qui pullulent depuis quelques temps en surfant sur cette vague de la démocratisation des moyens de fabrication des films. Je peux aprendre par coeur le manuel de Final cut pro et le réciter comme une fable de La Fontaine, ça ne fera pas de moi un monteur professionnel si je ne maîtrise pas les notions de rythme, d'agencement entre les plans, de narration... surtout si je n'ai pas étudié les films des vieux maîtres.
Il faut donc valoriser les pratiques professionnelles au même titre pour ne pas qu'il y ait de confusion des genres. De même, il est nécessaire de canaliser les nouveaux entrants sur le maché afin que les dérives constatées au niveau des stages conventionnés qui prennent la place de véritables emplois soient contenues. Un employeur peut toujours dire que si quelqu'un refuse de travailler à moindre tarif, la queue des candidats à la gloire est longue.
11 - Renforcer toutes les formes d’accompagnement du cinéma.
La télévision de service public a un rôle décisif à jouer, et qu’elle ne joue plus, ni par sa programmation de films, ni par la production d’émissions de cinéma dignes de ce nom.
Cette analyse est très juste. Je discutais récemment avec Jean-Marie Rodon (que je salue pour son amour inconditionnel du cinéma) des cinémas Action qui me disait qu'il y avait plus de spectateurs dans ses salles à l'époque de La dernière séance. Loin de concurrencer les films anciens, la télévision leur permettait d'avoir une exposition qui donnait envie de prolonger ce plaisir vers les salles. D'autre part, les émissions sur le cinéma donnent l'impression qu'elles répondent plus à des impératifs de cahier des charges à remplir que d'une réelle volonté de promouvoir le cinéma dans sa diversité. Quant au DVD, il s'agit avant tout d'un produit de consommation : le packaging est privilégié, les éditions collector servent avant tout à créer un événement plutôt que de sensibiliser à des questions relatives aux films. Saluons plutôt le boulot éditorial de Wild side ou Carlotta qui remettent en perspective les oeuvres par rapport à leur contexte artistique, critique et socio-politique.
12 - Penser une politique de dialogue entre le cinéma et les autres arts.
Ah bon, le cinéma, c'est un art ! Je suis mauvaise langue... Si synergie il y a, elle profitera à tous, à partir du moment où il n'y a pas de marginalisation. Des expos croisés sur le cinéma oui, mais les films anciens doivent aussi sortir des musées pour entre dans les salles. Le risque que deux sortes de films existent - ceux pour les salles et ceux pour les musées - se concrétisent de plus en plus.
1 commentaires:
Daniel Goudieau est le responsable de France 3 Cinéma.
a.
Enregistrer un commentaire
Abonnement Publier les commentaires [Atom]
<< Accueil