mardi 22 mai 2007

Les Dossiers de l'écran


La musique du générique des "Dossiers de l'écran" a traumatisé toute une génération entre 1967 et 1991. Le principe de cette émission consistait à associer un film illustrant un sujet de société donnant lieu à un débat après la diffusion. Le thème quasi martial du générique conférait une solennité indéniable. On était au garde-à-vous en entendant ces sons angoissants. A cettte époque, au moins, le cinéma était considéré comme un véritable témoin et les films étaient crédibles pour mettre en perspective des événements de la société.
Jean-Pierre Melville, immense metteur en scène, a utilisé cette musique de Morton Gould pour illustrer L'Armée des ombres (1969), chef d'oeuvre sur la Résistance avec Lino Ventura, Paul Meurisse, Jean-Pierre Cassel (qui vient de décéder il y a quelques jours) et Simone Signoret. Une déflagration tellurique dont je mettrai longtemps pour en mesurer l'ampleur... Un chef d'oeuvre à inscrire au Patrimoine de l'Humanité de l'UNESCO. Les silences, l'utilisation de la musique confèrent une grandeur à ce film, à l'image des actes héroïques des réseaux de la résistance. Auteur de plusieurs films qui ont influencé de nombreux cinéastes asiatiques, Melville s'attarde ici sur un réseau de Résistance dont il décrit autant les activités qu'il met en scène les doutes qui les assaillent au moment de certaines opérations hautement stratégiques (la fameuse raison d'état). Certaines scènes sont mémorables, avec une intensité dramatique extrême. L'assassinat du traître qui a dénoncé Philippe Gerbier, le résistant interprété par Lino Ventura, est extraordinaire. Gerbier et ses deux complices ne peuvent lui tirer dessus car une famille vient de s'installer dans une maison mitoyenne et le bruit du revolver pourrait les alerter. Ils cherchent alors un moyen de l'éliminer en toute discrétion. Pendant cette prériode de réflexion, les deux acolytes, Le Masque et Le Bison, s'interrogent sur la nécessité de tuer le traître et leurs doutes se transforment en peur du passage à l'acte. Finalement, le est étranglé après avoir été bâillonné. Tout est dit dans cette scène : l'importance des prises de décisions, le doute devant les actes à accomplir, la primauté de la mission sur les individus, la loyauté et la trahison, la difficulté ontologique à tuer, même pour une juste cause... Filmée en temps réel, la tension de cet assassinat est quasiment insoutenable.


La narration introspective du film en fait le pendant du Silence de la mer que Melville a réalisé en 1947 d'après la nouvelle de Vercors. Dans ce film, un officier allemand est assigné à résidence dans la maison retirée d'un vieil homme vivant avec sa nièce. Il se livre tous les soirs au moment du souper à des monologues sur le patriotisme et le rapprochement des peuples prônés par le nazisme, malgré le mutisme implacable de ses deux hôtes. Une voix off introspective exprime invariablement leurs pensées. L'Armée des ombres utilise ce procédé avec plus de parcimonie, mais le principe est le même. A noter que le comédien qui interprète le vieil oncle, Jean-Marie Robain, campe dans L'Armée des ombres le personnage du baron
de Ferté-Talloire, royaliste convaincu qui déteste l'occupant encore plus que la République. Ce qui accrédite encore plus la filiation entre les deux films.
Moi qui ne cesse de rabâcher la frilosité française lorsqu'il s'agit de fouiller dans sa mémoire, je ne peux que m'incliner devant ce film de Melville qui brosse un portrait réaliste de la Résistance dont a lui-même été au service pendant la guerre. Melville est manifestement un cinéaste essentiel...

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