Saul Bass
Les génériques de films ont longtemps été un alignement monotones de noms et de fonctions respectant la même charte graphique sur fond musical reprenant les principaux thèmes du film. Le projectionniste n'ouvrait parfois le rideau uniquement lorsque cette litanie était terminée, laissant la place aux images. Un homme est venu briser ce schéma et conférer au générique une dimension artistique : Saul Bass. Ce graphiste publicitaire de formation s'est déjà attaquer aux affiches de films qui juxtaposaient scènes et personnages de films. Il introduit l'abstrait et le conceptuel dans le figuratif (quelle phrase pompeuse... ça ne peut pas être de moi, ça !)
Le premier à faire appel à ses services est Otto Preminger. Il signe l'affiche de La Lune était bleue en 1953 avant de créer en 1954 le générique de Carmen Jones, transposition de l'opéra de Bizet uniquement interprétée par des interprètes noirs d'après la comédie musicale de Oscar Hammerstein. Le dessin d'une rose se tient sur fond de flamme rouge ondulante sur l'ouverture de Carmen de Bizet. Un minimalisme fortement évocateur, tel un logo publicitaire vantant les mérites de la passion dévorante et flamboyante. Son générique suivant sera aussi son plus fameux de la période Preminger (leur collaboration s'est étalée sur 10 films) : L'homme au bras d'or (1955). Des lignes verticales, horizontales et obliques occupent l'écran sur une musique de Leonard Bernstein, puis un bras déformé apparait dans le cadre... Aucune des stars du film ne figure dans l'affiche, ni au générique. Le spectateur est d'emblée mis dans une ambiance claustrophobique comparable à celle ressentie par les accrocs à la drogue. A bien des égards, l'association Preminger-Bass peut être comparée à Hitchcock-Herrmann, tant la collaboration artistique se rejoint dans le genre de films à thèse que défend Preminger.
Saul Bass vient d'ailleurs se greffer au duo Hitchcock-Herrmann pour le générique et l'affiche de Vertigo. Le thème de la spirale associé à l'oeil et au vertige dont souffre le personnage principal (interprété par James Stewart) trouve sa plus parfaite expression dans ce générique qui est quasiment un clip expérimental. Hitchcock, dont le goût pour la psychanalyse n'est pas à démontrer, a déjà fait appel à Salvador Dali pour une séquence de décryptage de rêve dans La Maison du docteur Edwardes, dans laquelle sa symbolique s'exprimait. Dans Vertigo, il utilise dès le générique le fort pouvoir évocateur des symboles et confère au film une dimension fantasmatique encore plus élevée.
Saul Bass a également collaboré sur plusieurs génériques de Martin Scorsese dans lesquelles il utilise l'animation plutôt que l'abstrait tout en insistant sur la symbolique du film. Cape fear (1991) est un bel exemple de générique à effets spéciaux qui renforce l'angoisse ressentie tout au long de ce remake qui reprend le thème original de Bernard Herrmann. Saul Bass a d'ailleurs signé ses deux derniers génériques pour ce cinéphile acharné qu'est Martin Scorsese : des fleurs qui éclosent en accéléré dans Age of innocence en 1993 et l'explosion de la voiture piégée de Sam Rothstein préfigurant sa descente aux Enfers sur fond de La Passion selon Saint-Matthieu de Bach dans Casino (1995). Des fleurs, des flammes... Cela ne vous rappelle rien ? La rose sur fond de flamme ondulante de Carmen Jones. Une belle façon de boucler la boucle...
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