Légion d'honneur (2)

Petite précision : le message intitulé "Légion d'honneur" peut donner l'impression que je dénigre ce cinéaste essentiel qu'est David Lynch. J'adore et respecte tous ses films et je suis le premier à reconnaître sa remarquable contribution à la culture (même si j'aime moins son oeuvre de plasticien et de musicien) mondiale. Shame on me ! Je parle comme un politicien !
Cependant, cette tendance à institutionnaliser des personnes de la société civile en leur décernant une récompense m'agace considérablement. L'institutionnalisation est un sport national français (vous allez me dire qu'il faut faut bien qu'on soit bon dans un sport, étant données les raclées qu'on prend en foot, en rugby, en basket, en volley ou en athlétisme). David Lynch a des chances à présent d'être exposé dans un musée (non, ça c'est déjà fait, c'était ce printemps à la Fondation Cartier) et voir aussi de nombreuses exégèses lui être consacrées (ça aussi, c'est déjà fait !!!) Il faut donc expliquer rationnellement comment le spectateur arrive à ressentir des émotions en voyant des fourmis sortir d'une oreille dans Blue velvet ou un chien ramassant une main après un carnage dans Sailor et Lula. A-t-on réellement besoin qu'un prof de fac nous explique par A+B la logique de Mulholland drive ? Je ne sais pas si je pourrais donner une explication logique de ce film qui soit satisfaisante pour tous, je n'en aurai pas la prétention. Mais ce que j'ai éprouvé en voyant ce film m'appartient et est sûrement différent de ce qu'en aura ressenti mon voisin. C'est ce qui fait la richesse de ce film (en plus des extraordinaires Naomi Watts et Laura Elena Harring). Point besoin d'explications et autres schémas !!!
D'autre part, David Lynch est un cinéaste qui évolue dans la marge des institutions. INLAND EMPIRE a été distribué par ses soins aux Etats Unis et ses deux derniers films sont des critiques du sytème hollywoodiens. Son embaumement me semble donc à la fois inapproprié et prématuré (il regorge sûrement encore de projets, le père David)
Mais nos gouvernants, fidèles à leur politique d'ouverture, s'emparent à présent de la culture. On peut imaginer bientôt qu'ils mettront en place une cérémonie qui concurrencerait Oscar et Cesar. Des happy few et autres VIP (ambassadeurs, têtes couronnés, souverains pontifes et tutti quanti) assisteront à la remise des prix dans les salons de l'Elysée. Notre Président, dans son infinie grandeur, décachettera fébrilement une enveloppe marquée du sceau de la République. La Légion d'Honneur du meilleur scénario est attribuée à Jean-Jacques Annaud pour son sens aigu du dialogue dans La Guerre du feu et L'Ours qui ont contribué à la propagation de la langue française dans le monde. La Légion d'honneur de la meilleure interprétation féminine est décernée à Michelle Yeoh pour ses films avec Jackie Chan (à qui on filera la Légion d'Honneur du meilleur retourné facial en extension)... Quant à la Légion d'Honneur de la meilleure interprétation masculine, elle est épinglée à l'unanimité sur la boutonnière de Jean-Claude Van Damme pour ses rôles dans Légionnaire et Full contact dans lesquels il porte haut les couleurs de la Légion étrangère.
Décidément, le cinéma, comme la guerre, est une affaire trop sérieuse pour être confié à des cinéastes...