jeudi 21 juin 2007

Trianon

Boulevard de la mort de Quentin Tarantino ressuscite les doubles programmes qui passaient jadis dans les cinémas de quartier. Ah, les cinémas de quartiers... Toute ma jeunesse... Quand j'étais gamin, j'habitais à Pigalle... Quand je dis Pigalle, on pense spontanément à cette image de carte postale d'un quartier devenu aujourd'hui touristique, où le musée de l'érotisme se visite en famille... Mais ce n'est pas le Pigalle où j'habitais. Quand j'y étais, ça craignait vraiment. Le soir, il y avait des règlements de comptes entre macs, travelos bourrés et autres capotes usagées jetées à même le caniveau. Et il y avait les cinémas de quartier qui programmaient des double features de films de shaolins ou le dernier Chuck Norris. Lorsque j'ai eu ma majorité cinématographique (13 ans à l'époque), j'allais à la Cigale (si, si, la salle de concert actuelle) pour voir Atomic cyborg, les films de Jacky Chan comme Le Marin des mers de Chine ou un énième film de kung-fu avec un ersatz de Bruce Lee qui combat contre un ersatz de Chuck Norris dans un ersatz de Colisée. A côté de la Cigale, il y avait une boîte de nuit latina qui s'appelait le Valencia dans laquelle mes amis Portugais et Espagnols allaient régulièrement. Il y avait aussi Le Chat Noir au boulevard de Clichy où les affiches de films d'horreur, genre Cannibal Holocauste ou les parodies de Conan le Barbare tels que Les Barbarians avec deux jumeaux bodybuildés (il s'agit de deux films de Ruggero Deodato) côtoyaient les films de cul des sex shop voisins. Il y avait aussi des western spaghetti où Trinita rivalisaient avec Sartana, Django ou bien Keoma...

Mais la salle la plus baroque était le Trianon à l'emplacement de l'actuel Elysée-Montmartre au pied du Sacré Coeur. Le spectacle était autant (plus) dans la salle que sur l'écran. Des "spectateurs" éméchés venaient au cinéma pour échapper à leur femme accompagnés de leur merguez frites.
C'était un drive-in où les spectateurs amenaient leur propre bouffe dans une gamelle, mais il n'y avait pas de bagnoles et ce n'était pas en plein air. Ça puait la pisse et la transpiration à plein nez, mais on ne pouvait pas ouvrir les fenêtres pour aérer. La clim ? Faut pas déconner non plus, c'est pas UGC ici. Des volutes de fumée de cigarettes croisaient le faisceau lumineux du projecteur. Les sièges étaient souvent lacérés quand ils n'étaient pas maculés d'une substance visqueuse souvenir du porno de la semaine dernière. Un dialogue s'instaurait entre le public et les personnages des films projetés dans des copies pourries Vas-y, pète lui la gueule à ce Chinois, met lui un front kick dans la face... et autres amabilités du même genre. Lorsque le film ne s'annonçait pas à la hauteur de l'affiche (généralement un hélicoptère qui explose, une bimbo avec des pare-chocs proéminents et un bikini dont les parties du corps dissimulent difficilement la ficelle du string), les spectateurs manifestaient bruyamment leur mécontentement. On ne compte plus le nombre de canettes, parfois à moitié remplies d'un breuvage non identifié, projetées contre l'écran en signe de protestation.

Le pire, c'est que j'adorais cette ambiance. Les films étaient nuls, mais on se marrait bien. En plus, je ne sais pas pourquoi, mais j'étais à l'aise. J'étais dans un cinéma et ça me suffisait, quelque soit la toile sur l'écran. Je n'ai découvert les grands réalisateurs que bien plus tard... mais le plaisir du cinéma en tant que spectateur était déjà présent dans en voyant des films pourris dans des salles bidons.

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