vendredi 26 septembre 2008

Actors Studio

Dans la série "On a tout essayé", on demande l'acteur... Faites la queue pour les autographes et ne bousculez pas, y en aura pour tout le monde... J'ai tourné dans un film de Resnais ! C'est mon passeport pour une gloire éternelle (même si je n'ai vu aucun de ses films ultérieurs à L'Année dernière à Marienbad qui date quand même de 1963) Je me retrouve donc mardi dernier derrière le théâtre du Rond Point pour le tournage d'une scène de figuration dans le très attendu film d'Alain Resnais (je sais, j'en fais des tonnes !) Il y avait des professionnels de la figuration qui écument les tournages dans le vain espoir d'être repérés par un réalisateur clairvoyant pour jouer dans un hypothétique film... Sans vouloir être rabat-joie, je n'y crois pas une seule seconde Cette situation n'existe précisément que dans les films... Pygmalion est mort depuis longtemps ! Bref, situation assez cocasse où certains figurants se demandaient où ils s'étaient déjà rencontrés. Extrait :

- On s'est pas déjà rencontrés ?
- Votre visage me dit quelque chose en effet...
- C'était pas sur un tournage ?
- Peut-être... J'étais sur le Julie Lescaut la semaine dernière et la pub Madrange celle d'avant... Je jouais le rôle du citron...
- Vraiment ? Moi j'ai auditionné pour le rôle du sombrero de Pepito pour sa dernière campagne de pub...
- Mon agent m'a proposé le rôle du poncho, mais j'ai refusé.
- Vous avez des projets en ce moment ?
- Rien de bien affriolant ! Je suis sur le prochain Kassovitz, puis sur le De Caunes, avant d'enchaîner sur la prochaine série de l'été de TF1...

Pour le film de Resnais, il fallait juste marcher au milieu de passants. Le chef op' filmait les pieds des piétons avant de s'arrêter sur ceux du personnage principal (en l'occurrence Sabine Azema, présente sur le plateau bien que non concernée par la scène) que le spectateur va découvrir pour la première fois... Marcher. La chose la plus naturelle au monde. Comme respirer. On m'a filé 67,82 euros bruts pour faire la chose la plus naturelle au monde. Pourquoi ? parce que ça va être gravé sur une pellicule, projeté sur la surface blanche d'un écran, vu par des spectateurs concentrés autant sur leur immense pot de pop corn que sur le film qu'il regarde...
Mais il fallait faire ce boulot sérieusement. On est pro ou on ne l'est pas (moi, en l'occurrence, je ne le suis pas, mais j'aime à penser que je le suis... c'est une part du boulot d'acteur de simuler un certain professionnalisme dont on se réclame à tout va, alors que si un comédien était VRAIMENT professionnel, il fermerait sa gueule et ne ferait pas de caprice de gosse attardé pour obtenir un semblant d'affection) La concentration était donc aà son point culminant...Mes pieds allaient entrer au Panthéon (et non au pantalon) du Septième Art. J'ai donc chaussé ma paire de chaussures Kenzo que je ne sors que pour les grandes occasions... Après ça, on va dire que mes chevilles vont enfler... Plusieurs prises furent nécessaires. Nous devions marcher sur différents tempos.
Alain Resnais était sur le plateau, mais la figuration était réglé par ses assistants. Il était sous une tente à visionner le résutat sur un moniteur et à donner son avis à ses assistants qui répercutaient l'information auprès de la main d'oeuvre. Une chose m'a marqué particulièrement : il est vieux et il fait son âge. 82 ans. C'est le Nestor du cinéma français. Dans les photos, il apparaît comme un sage aux cheveux blanchis par le temps et le visage invariablement lisse. Il est plutôt bien conservé pour son âge, mais ses traits laissaient trahir une espèce de lassitude liée au temps qui lui donnaient une apparence de fin de vie. J'avais la sensation étrange d'être en face d'un réalisateur sentant que cette scène pouvait être la dernière qu'il devait jamais tourner alors qu'il a fait ça toute sa vie... Je ne sais pas à quoi il pensait à la fin de la dernière prise, mais j'ai capté dans son regard comme une forme de mélancolie. La moue songeuse d'une personne qui sait intimement à ce moment-là qu'il risque d'avoir réalisé la dernière scène de son dernier film. Je lui souhaite évidemment d'en faire d'autres (y a pas assez de grands réalisateurs français pour qu'on puisse se passer d'un talent comme le sien), mais j'ai la conviction d'avoir assisté au crépuscule d'un Dieu, au dernier rugissement du lion qui s'apprête à rejoindre le cimetière des éléphants (les félins y ont toute leur place... après tout, qui est le roi de la jungle ?) au côté des illustres réalisateurs qu'il vénère tant...
En tout cas, bon courage, Alain !

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire

Abonnement Publier les commentaires [Atom]

<< Accueil