La nuit dernière, j'ai vu Husbands de John Cassavetes. Super portrait de mecs ! Grande liberté artistique et d'interprétation ! Du bruit et de la fureur ! Une improvisation contrôlée... Bref, du grand art ! Il faut que je cite ces trois gars-là pour leur rendre hommage (pour leur payer un tribut comme dit un grand ami à moi qui estime à juste titre que la version originale est plus belle) : John Cassavetes, Ben Gazzara et Peter Falk.
Je ne sais pas pourquoi, mais après la vision du film, j'ai spontanément pensé à la mort de Cassavetes en février 1989. Deux mois plus tard décédait un autre cinéaste que je vénère : Sergio Leone. Ils ont tous les deux cassés leur pipe à l'âge de 60 ans. Ils sont donc nés en 1929, comme mon père (qui, lui, est toujours vivant et en bonne santé, pourvu que ça dure...) Ces mecs-là n'ont pas le droit de crever. On devrait leur accorder une dérogation pour prolonger leur séjour sur Terre. Des hommes aussi lucides et talentueux, des conteurs sans équivalent, de profonds humanistes qui dissimule leur amertume derrière un "cynisme" de façade, une sensibilité et un talent anticonventionnel, ne peuvent pas, ne doivent pas expirer. On a trop besoin d'eux. Je n'étais pas encore cinéphile à 16 ans, ma sensibilité commençait à peine à se former. Je n'avais même vu aucun film de John Cassavetes qui n'était pour moi qu'un salopard parmi 12 autres... pourtant j'avais conscience de l'immensité de cette perte. Je ne saurai dire pourquoi, mais cet événement m'a marqué... tout comme le décès de Sergio Leone. Après avoir vu leurs films, j'ai compris. Ils se sont consumés dans leurs films en y laissant leur santé et leur énergie.
4 ans plus tard, un autre double décès à intervalle rapproché m'a particulièrement marqué, d'autant plus qu'il accompagnait mon éveil à la cinéphilie. Joseph L. (le L., ça veut dire Leo) Mankiewicz et Federico Fellini nous ont quittés à deux mois d'intervalle en 1993. Eux aussi auraient dû bénéficier d'un passe-droit. Je ne sais pas à qui je vais porter réclamation, mais je vais commencer les démarches vers qui de droit... J'ai construit ma "cinéphilographie" autour de ces deux pôles : l'intelligence et la fantaisie, la subtilité et le foisonnement, la finesse du dialogue et les éclats de voix, la grâce de Gene Tierney et la l'exubérance d'Anita Ekberg, Bernard Herrmann et Nino Rota...
Tour à tour, les acteurs italiens de l'âge d'or nous ont quittés : Ugo Tognazzi s'est enfui de ce monde en 1990, Marcello Mastroianni l'a suivi en 1996, Vittorio Gassman a fait sa sortie de route le 29 juin 2000 (jour de mon anniversaire), Alberto Sordi et Nino Manfredi ont tiré leur révérence en 2003 et 2004. Ils n'ont pas le droit de mourir, ces types-là. Qui va tourner en dérision la bêtise et la vanité du genre humain à présent ? Qui va nous renvoyer au visage dans un grand éclat de rire nos propres faiblesses ?
Autre "paire" de décès : Robert Mitchum et James Stewart les 1er et 2 juillet 1997. Ce coup double marque la fin d'une époque dorée du cinéma américain.
Et Marlon Brando, qui lui a donné la permission de mourir le 1er juillet 2004 ?
Et pourquoi viennent-ils tous mourir aux alentours de mon anniversaire ? Il n'y a pas assez de 365 jours dans un calendrier pour venir s'échouer le jour qui commémore ma venue au monde ? Même Katharine Hepburn s'y est mise en partant le 29 juin 2003, jour de mes trente ans. Comme si leur départ ne suffisait pas à m'attrister... Mais bon, cela crée une plus grande proximité entre eux et moi... Au moins, je suis placé sous des auspices prestigieux... Je ne peux pas produire des films pourris avec un tel héritage... Décevoir tous ces gens-là ? No way...
Heureusement, il reste des gens comme Ingmar Bergman, Dino Risi, Mario Monicelli, Ettore Scola, Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, Eli Wallach, Clint Eastwood, Sofia Loren, Claudia Cardinale... J'aurais pu en citer d'autres, mais ceux-là sont ceux qui ont bercé ma jeunesse, traversé mon adolescence et accompagné dans l'âge adulte.
Longue vie à tous, y compris à ceux qui sont partis !!!